Mahmoud Darwich (en français)

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Mahmoud Darwich
12/08/2008
Auteur d'une trentaine de recueils, traduit dans une quarantaine de langues, il était l'un des plus grands poètes arabes contemporains. L'Autorité palestinienne a décrété un deuil officiel de trois jours
 




l.gife Palestinien Mahmoud Darwich, l'un des plus grands poètes arabes contemporains, est mort samedi 9 août, à l'âge de 67 ans, dans un hôpital de Houston, des suites de complications consécutives à une intervention chirurgicale sur un anévrisme de l'aorte. L'Autorité palestinienne a décrété un deuil officiel de trois jours. A travers son oeuvre - près de trente recueils traduits en une quarantaine de langues - Darwich touchait les fibres les plus sensibles de ses lecteurs et de son auditoire, qu'il s'agisse de l'interminable tragédie palestinienne, de l'amour, du désir, de l'espoir, en un mot de la vie.

Depuis 1998, date à laquelle il avait été opéré à Paris d'un anévrisme de l'aorte, Mahmoud Darwich vivait dans un dialogue lyrique constant avec la mort. « Mort je t'ai vaincue », avait-il alors écrit dans Murale, magistrale méditation sur la mort, qui inaugurait le cycle de ce que certains considèrent comme les plus beaux de ses recueils. Il avait confié en juillet qu'il espérait « avoir le temps de terminer son dernier recueil ». Darwich savait en effet que son corps risquait de le lâcher. Et c'est bien pour l'en empêcher qu'il s'était rendu aux Etats-Unis pour se faire opérer. Il avait écrit un jour : « Si je dev a is mourir, j'aurais honte de faire pleurer ma mère. »

L'exil forcé, les souffrances et « l'injustice » faites à son peuple étaient une blessure profonde jamais cicatrisée. « On ne peut vivre avec la blessure de la disparition de la patrie, a-t-il déclaré un jour au Monde, que si une cohabitation équilibrée s'instaure entre les «deux réalités», juive israélienne et arabe palestinienne, dont aucune ne peut éradiquer l'autre. » « L'espoir, assurait-il, est une maladie incurable chez les Palestiniens, l'espoir d'une vie normale où nous ne serions ni héros ni victimes. » L'espoir donc, malgré une occupation israélienne qui est « une déclaration permanente de guerre contre nos corps et nos rêves, nos maisons et nos arbres ».

Né le 13 mars 1941 dans le village d'Al-Birweh, Mahmoud Darwich est forcé à l'exil, en même temps que les siens, en 1948. Leurs habitations ont été entièrement détruites et leur localité rasée au moment de la création de l'Etat d'Israël. Un an plus tard, ils retournent clandestinement dans ce qui était devenu l'Etat juif et s'établissent à Jdeidet Akka. A l'âge de 20 ans, Darwich adhère au Parti communiste judéo-arabe. Arrêté à plusieurs reprises et assigné à résidence, il finit par opter pour l'exil, qui le conduira à Moscou, puis au Caire et à Beyrouth.

Avec l'invasion israélienne du Liban en 1982, Mahmoud Darwich reprend la route. Ce sera le Caire, Tunis, Paris, avant Gaza et Ramallah en 1995, deux ans après la signature des accords d'Oslo. Accords dont il avait d'entrée de jeu perçu les immenses lacunes et qui avaient entraîné sa démission du Comité exécutif de l'Organisation de libération de la Palestine. A deux reprises, les autorités israéliennes l'autorisent à se rendre à Haïfa : en 1996, pour les obsèques de l'écrivain arabo-israélien Emile Habibi, et en 2007, pour une lecture de ses poèmes devant une foule considérable. Il n'est pas étonnant que l'une des oeuvres - Etat de siège (Sindbad/Actes Sud, 2004) - de ce poète si sensible aux rythmes et aux sonorités, ait été mise en musique par le compositeur Garett List en janvier 2005.

Pour un Palestinien, « la politique est existentielle », estimait Mahmoud Darwich. « Mais la poésie est rusée, ajoutait-il. Elle permet de circuler entre plusieurs probabilités. Elle est fondée sur la métaphore, la cadence et le souci de voir derrière les apparences », de voir « la vie, les rêves, les illusions..., le meilleur, le beau (...). Son seul véritable ennemi, c'est la haine. » Aussi n'était-ce pas un hasard si le personnage du Christ, « ce Palestinien », l'avait touché par « son discours d'amour et de clémence, par cette idée qu'il est le Verbe ». Pour Mahmoud Darwich, la cécité d'Israël, son entreprise d'affaiblissement systématique de l'Autorité palestinienne, l'incurie de cette dernière, le « despotisme universel » des Etats-Unis, les despotes locaux et l'exception dont bénéficie l'Etat juif en matière de droit international, étaient les causes des régressions intégristes « passéistes » de mouvements tels que le Hamas palestinien. Dans le monde arabe, et plus généralement musulman, comme en Occident, « des forces concourent à exacerber le choc des identités », estimait-il. « C'est une période transitoire, mais le présent se noie dans la tragédie ».

Mahmoud Darwich vivait ces dernières années entre Amman, en Jordanie, et Ramallah, en Cisjordanie, où il publiait la revue Al-Karmel, fondée à Beyrouth et attentive aux courants culturels internationaux. Son corps devait être rapatrié à Ramallah via Amman. L'Autorité palestinienne s'emploie à obtenir le feu vert d'Israël pour qu'il soit enterré à Jdeidet Akka, où vivent encore sa mère et ses frères et soeurs. L'écrivain israélien Avraham B. Yehoshua a rendu hommage à son « ami et adversaire » qui « était aussi un voisin, un Arabe israélien qui connaissait l'hébreu et les codes juifs de la société israélienne ». De même, le poète israélien Haïm Gouri a déclaré : « Son décès me fait beaucoup de peine car il incarnait une personnalité tragique, un homme en exil permanent, éloigné à jamais de son village. »

De nombreux livres de Darwich ont été traduits en français, notamment chez Actes Sud, à partir de 1994 ; dernier titre paru : Ne t'excuse pas (2006). Notons également une anthologie des « Poèmes 1966-1982 », Rien qu'une année (éd. de Minuit) et un volume de la collection « Poésie/Gallimard », La terre nous est étroite et autres poèmes.

Mouna Naïm





Le Monde diplomatique
11/08/2008

Mahmoud Darwich, « le poète des vaincus »

Le poète palestinien Mahmoud Darwich, considéré comme l’un des plus grands écrivains arabes, est mort samedi à Houston, aux Etats-Unis, où il venait de subir une opération à cœur ouvert. Il était né en 1941 dans le village de Birwa, en Galilée, qui fut rasé lors de la guerre de 1948. Jeune adulte, il milite au Parti communiste israélien ; il s’exile à plusieurs reprises, à Moscou, au Caire, à Beyrouth ou à Paris. Un temps membre de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), auteur de discours pour Yasser Arafat, il démissionne au moment des accords d’Oslo, auxquels il est opposé. Il était revenu s’installer en Palestine en 1996 et vivait à Ramallah, où il dirigeait la revue Al Karmel.

Ses poèmes, qui, lors de ses années à l’étranger, entraient en Palestine, dit-on, « sur un nuage », et dont les plus célèbres sont Identité, Rita ou Je me languis du pain de ma mère, marquent profondément des générations entières, dans son pays et au-delà. Ils ont fait l’objet d’adaptations théâtrales et ont été mis en musique par le chanteur libanais Marcel Khalife. Ses vers sont parfois devenus des slogans, l’amenant à développer des réflexions fines et souvent empreintes d’humour sur les liens qu’entretiennent poésie et politique. Il se définissait comme le poète des vaincus — comme un « poète troyen », c’est-à-dire comme « l’un de ceux à qui on a enlevé jusqu’au droit de transmettre leur propre défaite (1)  ». Mais il refusait d’être réduit au rôle de porte-parole de la cause palestinienne, ou de subordonner son art aux exigences de la lutte de libération nationale — ce qui, à terme, assurait-il, n’aurait pu que desservir l’un comme l’autre.

(1) « Palestiniens, le peuple de l’absurde », entretien au quotidien Il Manifesto, mai 2007.








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09/08/2008
Le poète palestinien Mahmoud Darwich est mort

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Mahmoud Darwich avait reçu à La Haye le prestigieux prix Prince Claus pour «son oeuvre impressionnante».
Mahmoud Darwich avait reçu à La Haye le prestigieux prix Prince Claus pour «son oeuvre impressionnante». Crédits photo : AFP

Son oeuvre au grand lyrisme était notamment marquée par les drames de l'exil et de l'occupation vécus par le peuple palestinien.

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Le grand poète palestinien Mahmoud Darwich est décédé samedi dans un hôpital du Texas, au sud des États-Unis. Mahmoud Darwich se trouvait dans un état critique à la suite d'une intervention chirurgicale, avait dit plus tôt un responsable de cet établissement. Selon des proches du célèbre poète palestinien, ce dernier avait subi une opération à coeur ouvert mercredi et se trouvait sous assistance respiratoire suite à des complications. Il avait déjà subi deux opérations du coeur en 1984 et 1998.

Mahmoud Darwich, 67 ans, était l'un des plus grands poètes de langue arabe contemporains, avec une oeuvre au grand lyrisme marquée par les drames de l'exil et de l'occupation vécus par le peuple palestinien. Il avait acquis une notoriété internationale, avec près de trente ouvrages traduits en quarante langues. Son célèbre poème de 1964, «Identité» («Sajjel: Ana arabi»), sur le thème d'un formulaire israélien obligatoire à remplir, deviendra un hymne repris dans tout le monde arabe.

Mahmoud Darwich est né le 13 mars 1941 à Al-Birweh, en Galilée, alors en Palestine sous mandat britannique et aujourd'hui dans le nord d'Israël. Lors de la guerre israélo-arabe de 1948, ce village est rasé et ses habitants sont forcés à l'exil. La famille Darwich s'enfuit au Liban, où elle restera un an, avant de rentrer clandestinement en Israël. Après ses études (en arabe et hébreu) dans des écoles arabes israéliennes, Darwich s'installe à Haïfa, le grand port du nord d'Israël, où vit une importante communauté arabe.

 

Assigné à résidence

En 1960, à l'âge de 19 ans, il publie son premier recueil de poésie «Oiseaux sans ailes». Un an plus tard, il rejoint le Parti communiste d'Israël, une formation judéo-arabe. Il rêve encore de révolution et d'internationalisme et exprime dans sa poésie une identité palestinienne encore niée à l'époque. Il est assigné à résidence durant de longues périodes. Début des années 1970, il choisit l'exil. Il part pour Moscou étudier l'économie politique puis se rend au Caire en 1971. À Beyrouth, en 1973, il travaille comme rédacteur en chef au Centre de recherche palestinien de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) rejoignant l'organisation alors en guerre avec Israël. Après la guerre israélienne au Liban durant l'été 1982, qui a forcé la direction de l'OLP à trouver refuge à Tunis, Darwich reprend la route de l'exil: Le Caire, Tunis puis Paris.

En 1993, il démissionne de l'OLP pour protester contre les accords d'Oslo, estimant qu'ils n'apporteront pas une «paix juste» pour les Palestiniens. Le poète se rend en 1995 dans la bande de Gaza après l'avènement de l'Autorité palestinienne, avant de s'installer à Ramallah, en Cisjordanie. En mai 1996, il est autorisé à fouler le sol d'Israël pour la première fois depuis son exil afin d'assister aux funérailles de l'écrivain arabe israélien Emile Habibi.

En 2000, le ministre israélien de l'Education propose que deux poèmes de Darwich soient inclus dans les programmes scolaires israéliens. Mais le premier ministre Ehud Barak refuse alors que la droite rappelle que Darwich a écrit en 1988 un poème appelant les Israéliens à mourir où ils veulent «mais pas chez nous».

 

«Un poète pas une cause»

En juillet 2007, il retourne en Israël lors d'un récital donné à Haïfa, devant une foule considérable composée notamment de la plupart des députés arabes de la Knesset (parlement israélien). À cette occasion, il ironise amèrement sur la prise du contrôle du mouvement islamiste Hamas de la bande de Gaza: «Nous avons triomphé. Gaza a gagné son indépendance de la Cisjordanie. Un seul peuple a désormais deux Etats, deux prisons qui ne se saluent pas. Nous sommes des victimes habillés en bourreaux». Le poète critique également la «mentalité israélienne de ghetto» et la politique israélienne qui empêche la création d'un Etat palestinien viable.

Plus récemment, au festival des musiques du monde d'Arles en juillet dernier, il a confié préférer les thèmes universels de l'amour, la vie, la mort à ceux purement politiques de ses débuts et vouloir être lu «comme un poète», «pas comme une cause». Lauréat du prix Lénine de l'ex-URSS, chevalier des Arts et des Lettres (en France), il avait reçu à La Haye le prestigieux prix Prince Claus pour «son oeuvre impressionnante».

Le président palestinien, Mahmoud Abbas, va envoyer un avion aux Etats-Unis afin de ramener la dépouille du poète. Une cérémonie aura lieu à Amman puis le corps sera transporté à Ramallah, en Cisjordanie. Des responsables palestiniens doivent aussi demander aux autorités israéliennes que le défunt puisse être enterré dans sa Galilée natale. L'Autorité palestinienne a décidé un deuil national de trois jours à la suite du décès du poète.





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Palestine, adieu Mahmoud Darwich
21/08/2008, n° 929

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Même la presse israélienne, qui n’a pas toujours été tendre avec le poète de la résistance palestinienne, lui rend hommage – ici, par la voix du poète Haïm Gouri.
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La mort du poète Mahmoud Darwich dans un hôpital américain, si loin de son pays, m’attriste profondément. J’ai fait la connaissance de cet homme et de sa poésie multiforme dans les années 1960, alors qu’il s’était déjà fait un nom parmi le groupe de poètes et d’écrivains affiliés au Maki (le Parti communiste binational israélien) et dont les œuvres paraissaient dans Al-Jadid, le supplément littéraire de son organe Al-Ittihad.
A cette époque, des rencontres avaient parfois lieu entre artistes arabes et juifs, lesquelles, si elles ne mettaient pas de baume sur les plaies de ce pays, alimentaient néanmoins un réel ­intérêt mutuel. Je me rappelle tout particuliè­re­ment une rencontre, en 1970, dans un cinéma de la ville basse de Haïfa. C’était à l’occasion d’un meeting de protestation contre une décision de la censure militaire soumettant la publication des poètes arabes à une lecture préalable. Malgré l’abolition officielle du gouvernement militaire en 1966 [pour les Arabes israéliens], les autorités continuaient à les harceler et à leur imposer un contrôle policier. Peu de temps après, Mahmoud m’avait téléphoné pour m’annoncer qu’il était invité officiellement à Moscou, mais qu’un arrêté militaire lui interdisait de quitter Haïfa. Finalement, il allait ­quitter le pays sans obtenir de passeport israélien, juste un simple laissez-passer.
Mahmoud est finalement resté un an à Moscou et, plutôt que de revenir à Haïfa, il est parti pour le Caire. C’est à ce moment qu’a débuté la longue odyssée du jeune poète, ­l’enfant du village abandonné d’Al-Birwa, en Galilée [dans le nord d’Israël], qui, avec le temps, est devenu le symbole de la poésie de l’exil et le plus marquant des poètes palestiniens, lui qui a erré de Moscou à Ramallah, en passant par Beyrouth, Tunis, Paris et Amman.
Nombre de ses recueils ont été ­traduits en hébreu. Puisant dans la ­tradition immémoriale arabe et dans les courants modernes de la poésie internationale, l’œuvre de Darwich est un mélange très expressif de sagesse, d’ironie, de pathos, de lyrisme et de sarcasme. Elle évoque un monde détruit et un pays où la rédemption d’Israël s’est accompagnée d’un cortège d’erreurs et d’horreurs. Il a relevé ce monde de ses ruines en exhumant les symboles aujourd’hui archétypiques du cactus, du chêne et de la vigne, de la figue et de l’olivier, de la grotte et du puits. Mais, dans son interminable règlement de comptes avec nous, les Juifs d’Israël, on trouve hélas des vers qui me sont pénibles à lire, parce qu’ils s’en prennent non au régime d’occupation mais à notre peuple et à son pays, un pays que nous considérons comme notre patrie historique.
C’est ainsi qu’en mars 1988 [au plus fort de la première Intifada], il publiait le célèbre poème Passants parmi les paroles passagères, qui contenait ces lignes terribles : “Vous qui passez parmi les paroles passagères, portez vos noms et partez. / Vous qui passez parmi les paroles passagères, vous fournissez l’épée, nous fournissons le sang, vous fournissez l’acier et le feu, nous fournissons la chair. / Vous qui passez parmi les paroles passagères comme la poussière amère, passez où vous voulez, mais ne passez pas parmi nous comme les insectes volants. / Vous qui passez parmi les paroles passagères, entassez vos illusions dans une fosse abandonnée, et partez. / Nous avons ce qui n’est pas à vous : une patrie qui saigne, un peuple qui saigne, une patrie utile à l’oubli et au souvenir. / Vous qui passez parmi les paroles passagères, il est temps que vous partiez, que vous mouriez où bon vous semble, mais ne mourez pas parmi nous. / Alors, sortez de notre terre, de notre mer, de notre blé, de notre sel, de notre blessure, de toute chose, sortez des souvenirs de la mémoire, ô vous qui passez parmi les paroles passagères.”
Ce poème fut un choc terrible pour ceux qui, en Israël, et spécialement à gauche, voyaient en Darwich un poète qui exprimait les souffrances de son peuple, mais qui, reconnaissant l’existence d’Israël, aspirait malgré tout à la fraternité entre les peuples de ce pays meurtri. Mahmoud continua à occuper mon esprit. J’ai plusieurs fois tenté de reprendre langue avec lui. Mais ses numéros de téléphone à Ramallah et Amman ne me servaient à rien. Il était toujours parti à l’étranger.
En juillet 2003, j’ai rédigé pour Ha’Aretz une recension de son recueil Etat de siège. C’est un ouvrage essentiel pour comprendre le caractère durable et meurtrier du conflit qui nous oppose à nos voisins. Parce que, outre la haute estime que nous devons au poète, Darwich est aussi un représentant. Moi qui ai aussi grandi dans la “culture des assiégés et des justes”, j’ai vu comment la “culture de la culpabilité et du remords” avait fini par hanter l’œuvre de nos propres poètes [israéliens]. Cela, on ne le retrouve hélas jamais dans la poésie de l’autre peuple, même si Etat de siège rompait parfois avec le ton du poème de 1988.
Nous ne nous sommes jamais revus, je ne sais pas si sa dépouille se verra octroyer le droit au retour dans sa terre natale, en Galilée. [Mahmoud Darwich a été enterré à Ramallah.]
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Haïm Gouri
Ha'Aretz
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Mahmoud Darwich, "poète national"

09/08/2008
Le grand poète palestinien Mahmoud Darwich est décédé samedi à l’âge de 67 ans à Houston où il venait de subir une opération du cœur. Le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas a décrété trois jours de deuil national.

"Le décès de notre grand poète, Mahmoud Darwich, l’amoureux de la Palestine, le pionnier du projet culturel moderne palestinien et le brillant dirigeant national laisseront un grand vide dans nos vies politiques, culturelles et nationales", a déclaré le président Mahmoud Abbas qui a décrété trois jours de deuil national en sa mémoire.

"Les mots ne peuvent décrire la profondeur de la tristesse dans nos cœurs. Mahmoud, puisse Dieu nous aider face à ta perte", a ajouté le président de l’Autorité palestinienne.

Dès que la nouvelle de sa mort a commencé à circuler, des habitants de Ramallah, où il vivait, ont commencé à se rassembler dans les rues, bougies à la main, pour honorer sa mémoire.

La télévision palestinienne a interrompu ses programmes pour diffuser un film où l’auteur lisait ses propres œuvres.

Considéré comme le "poète national" palestinien, Darwich avait commencé à publier en 1960 et a été traduit dans de nombreuses langues.

Connue dans tout le monde arabe, son œuvre évoquait la douleur des Palestiniens exilés comme lui mais aussi des thèmes plus larges.

Sa famille originaire d’une localité proche du port d’Haïfa avait été chassée de son domicile en 1948. Elle était revenue ensuite habiter dans la région.

Le mois dernier, le poète avait drainé une foule impressionnante pour une lecture à Ramallah commémorant le 60e anniversaire de la "Nakba", la "catastrophe" que constitue la création de l’Etat d’Israël aux yeux des Palestiniens.

Ses derniers ouvrages étaient empreints d’un humour sarcastique et du sentiment que Palestiniens comme Israéliens, bien qu’en conflit, étaient irrémédiablement liés pour partager un avenir incertain.

"Le sarcasme m’aide à surmonter la dureté de la réalité que nous vivons, à apaiser la douleur des cicatrices et à faire sourire les gens", disait-il. "L’histoire se moque autant de la victime que de l’agresseur."

Emprisonné à plusieurs reprises dans sa jeunesse, privé de passeport israélien, Darwiche était parti étudier en Union soviétique en 1971. Il avait ensuite vécu au Caire, à Beyrouth et à Paris.

Il avait grandi en Israël puis a choisi l’exil en 1970. Après des années passées à l’étranger, notamment à Paris, le poète s’est rendu en 1995 dans la bande de Gaza après l’avènement de l’Autorité palestinienne avant de s’installer à Ramallah, en Cisjordanie.

Il avait également été membre du comité exécutif de l’Organisation de libération de la Palestine. Mais il avait rompu avec le président de l’OLP Yasser Arafat et démissionné de son poste pour protester contre la signature des accords de paix intérimaires d’Oslo en 1993.

En mai 1996, il avait été autorisé à fouler le sol d’Israël pour la première fois depuis son exil afin d’assister aux funérailles de l’écrivain arabe israélien Emile Habibi.

En 2004, Mahmoud Darwich avait reçu à La Haye le prestigieux prix Prince Claus pour "son œuvre impressionnante".

Gros fumeur, Darwich avait déjà subi deux opérations cardiaques par le passé. Selon un ami proche, il ne s’était jamais remis d’une intervention subie il y a deux ans.

Peu avant l’annonce de son décès, le ministre palestinien de la Culture, Tahani Abou Dakka, avait déclaré que le poète avait été placé sous assistance respiratoire deux jours après une intervention chirurgicale.





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Décès du poète palestinien Mahmoud Darwich
08/08/2008

Considéré comme l'un des plus grands poètes arabes, il s'est éteint à 67 ans dans un hôpital aux Etats-Unis à la suite d'une intervention chirurgicale à coeur ouvert. Trois jours de deuil national ont été décrétés pour lui rendre hommage.

Mahmoud Darwich (Sipa)

Mahmoud Darwich (Sipa)

Le poète palestinien Mahmoud Darwich est mort samedi 9 août à l'âge de 67 ans, a annoncé à Ramallah Nabil Abou Rdeneh, un porte-parole du président de l'Autorité palestinienne Mahmoud Abbas. Trois jours de deuil national ont été décrétés pour lui rendre hommage. Considéré comme l'un des plus grands poètes arabes, il a témoigné de l'expérience palestinienne de l'exil, de l'occupation et de la lutte des Palestiniens pour l'indépendance. Ses recueils ont été traduits en plus de 20 langues et ont obtenu de nombreux prix littéraires.
Le poète est mort dans un hôpital de Houston aux Etats-Unis, après des complications faisant suite à une intervention chirurgicale à coeur ouvert.

Trois jours de deuil national

Mahmoud Abbas, qui a décrété trois jours de deuil national en mémoire du poète, va envoyer un avion aux Etats-Unis afin de ramener sa dépouille. Une cérémonie aura lieu à Amman puis le corps sera transporté à Ramallah, en Cisjordanie. Dans le même temps, des responsables palestiniens, sur ordre de Mahmoud Abbas, vont demander aux autorités israéliennes que le défunt puisse être inhumé dans sa Galilée natale.

"Le miroir de la société palestinienne"


"Il sentait le pouls des Palestiniens et le traduisait en belle poésie. Il était le miroir de la société palestinienne", a commenté Ali Qleibo, conférencier à l'Université Al Qods de Jérusalem. Sa poésie sentait "l'impossible facile", la capacité à traduire le récit des Palestiniens en un langage simple et évocateur, à rompre avec une tradition lourde d'émotions et de rythmiques, en vogue chez les autres poètes arabes.
Né en 1941 en Palestine, alors sous mandat britannique, à Biroueh près de Haïfa, Mahmoud Darwich a publié en 1960 son premier recueil de poésie, "Oiseaux sans ailes". Nombre de ses poèmes ont été mis en musique, dont "Rita" ou "Oiseaux de Galilée", hymnes pour plusieurs générations de Palestiniens.
Son dernier livre "L'impression des Papillons" est sorti en 2008. Son dernier recueil de poèmes traduit de l'arabe en français, par Elias Sanbar, "Comme des fleurs d'amandier ou plus loin" est paru en 2007 chez Actes Sud.

Condamnation des combats Hamas-Fatah

Mahmoud Darwich dénonçait l'occupation israélienne des territoires palestiniens mais aussi les combats entre Hamas et Fatah, une "tentative publique de suicide". Il a nourri le rêve d'un Etat palestinien, contribué à forger une identité nationale palestinienne et élaboré la déclaration d'indépendance, lue symboliquement par Yasser Arafat en 1988, alors président de l'Organisation de Libération de la Palestine, lors de la proclamation depuis Alger d'un Etat palestinien.
Pour la députée palestinienne Hanane Achraoui, "il a débuté comme un poète de la résistance puis est devenu un poète de la conscience. Il incarnait le meilleur des Palestiniens (...) Même lorsqu'il est devenu une icône, il n'a jamais perdu son sens de l'humanité. Nous avons perdu une partie de notre être".

Controverses en Israël


Son travail, unanimement admiré par l'ensemble des Etats arabes et des Palestiniens, a suscité des réactions controversées en Israël. En 2000, le ministre israélien de l'Education, Yossi Sarid, a suggéré d'intégrer certains des poèmes de Darwich dans le programme du secondaire, à propos du conflit israélo-palestinien. Mais le Premier ministre Ehud Barak s'y est opposé, arguant du fait qu'Israël n'était pas encore prêt à intégrer ses idées dans le système scolaire.
Mahmoud Darwich était présent au festival des musiques du monde, Les Suds, à Arles, le 14 juillet 2008. (Avec AP)



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M. Dominique de Villepin représente la France aux obsèques du poète palestinien Mahmoud Darwich
13/08/2008

A la demande du président de la République, M. Dominique de Villepin, ancien Premier ministre, représente la France aux obsèques du poète palestinien Mahmoud Darwich.

La France rappelle son admiration pour ce grand poète dont l’œuvre témoigne de la mémoire et de la richesse de la culture palestinienne et dont l’apport à la culture arabe et à la littérature universelle fut décisive.

Au moment où, plus que jamais, les efforts de paix des deux parties doivent être soutenus, l’appel de Mahmoud Darwich à la paix et à la coexistence de deux Etats, vivant côte à côte, mérite d’être rappelé et entendu.

Communiqué de Bernard Kouchner (11 août 2008)

J’ai appris avec beaucoup d’émotion le décès hier aux Etats-Unis du grand poète palestinien Mahmoud Darwich. La France partage l’admiration des Palestiniens pour cette grande figure dont la poésie, espace de nostalgie et de liberté, parle à tous.

Mahmoud Darwich a su exprimer l’attachement de tout un peuple à sa terre et la volonté absolue de paix. Son message qui invite à la coexistence continuera de résonner et finira pas être entendu. Nous sommes tous sensibles à « ce mal incurable qui s’appelle l’espoir ».



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13 au 19/08/2008, n° 727

La double traversée de Darwich

Il est qualifié de l’un des plus grands poètes de langue arabe contemporains, dont la poésie est marquée par les drames de l’exil et de l’occupation vécus par le peuple palestinien. Sa poésie retrace et chante la complainte de la Palestine. Depuis son célèbre poème de 1964, Saggel ana arabi (Identité) : « Inscris !/Je suis arabe sans nom de famille — je suis mon prénom/« Patient infiniment » dans un pays où tous/Vivent sur les braises de la colère », Mahmoud Darwich devient l’icône de la poésie de la résistance, l’icône de la cause palestinienne. Pourtant, pendant son riche itinéraire, il ne cesse de revendiquer le rêve de la poésie pure. Invité au Festival des musiques du monde d’Arles en juillet dernier, Mahmoud Darwich a confié préférer les thèmes universels de l’amour, la vie, la mort à ceux purement politiques de ses débuts et vouloir être lu « comme un poète », « pas comme une cause ». D’ailleurs dans son entretien avec l’éditorialiste du quotidien londonien Al-Hayat, Abdou Wazen, il insiste : « C’est un fait : je suis palestinien, un poète palestinien, mais je n’accepte pas d’être défini uniquement comme le poète de la cause palestinienne, je refuse qu’on ne parle de ma poésie que dans ce contexte, comme si j’étais l’historien, en vers, de la Palestine ».

Car même si Darwich est celui qui nous a largement appris et fait voir — nous les lecteurs — dans un simple poème la condensation de l’image des feuilles de l’olivier avec les bombes, l’enchevêtrement de l’image de l’amante-patrie jusqu’à l’identification, il ne se range jamais dans ce statut. Il progresse, renouvelle sans jamais frayer une voie en parallèle de l’histoire réelle du pays, comme on aime souvent à le situer. Il a fait jaillir la poésie de la résistance, dans notamment Feuilles de l’olivier (1964) et Amant de Palestine (1966) où il a forgé une nouvelle voix qui pourrait atteindre et soutenir les Palestiniens. « Une voix lyrique, saisissable et attachante. Blessée et — surtout — qui blesse », écrit le critique iraqien Kadhim Jihad dans une étude sur la poésie de Darwich. Mais c’est justement parce que la clef de cette écriture est la résistance qu’elle est devenue une poésie en révolte. Une poésie qui se retourne sur elle-même pour se renouveler à chaque fois. En effet, de nombreux critiques ont fêté la phase de subjectivité où il mettait en avant l’individualité la plus intime avec toujours en toile de fond la cause collective. C’est dans les années 1970 qu’il introduit cette double écriture, celle de « la pensée poétique paradoxale », selon l’appellation de Jihad, et qui va évoluer pour embrasser une pluralité de voix, jusqu’à sa mort.

Ainsi, dans un entretien publié dans Le Nouvel Observateur, Darwich commentait dans ces termes son tournant en faveur de la poésie, comme fête de la vie :

« Depuis que j’ai échappé à la mort en 1998 à la suite d’une opération du cœur, je sens que je rajeunis : je suis né une deuxième fois. Auparavant, j’étais obsédé dans mes poèmes par la mort. J’avais oublié de célébrer la vie et la beauté. Le paradoxe aujourd’hui, c’est que j’écris sur la beauté dans un pays où elle a été mutilée, saccagée, et où l’on vit en deçà de la vie. Je tente de compenser ce manque par la beauté que je chante dans mes poèmes. Comme un poète qui recommencerait à zéro, je m’attache à décrire la forme d’un nuage ou d’un cyprès, la fleur d’un amandier. Je me suis placé sous la protection des maîtres de la poésie arabe, mais uniquement des maîtres joyeux. Oui, j’écris en état de joie. Pas pour survivre, simplement pour vivre. Les lecteurs palestiniens qui vivent dans des conditions dramatiques ont accueilli magnifiquement ces poèmes. Lors d’une soirée de lecture à Ramallah, ils ne me réclamaient que des poèmes d’amour. Des femmes se sont mises à danser. Tous voulaient dire que l’occupation n’a pas écrasé leur humanité ». A la pluralité des sources arabes de sa poésie, des voix et des expériences parcourues dans les exils, il porte à jamais le passé et nous lance par delà la mort ce vers qui rime chez ses passionnés :

« Et je saurai que j’ai péri et que j’ai laissé ici / Le meilleur de moi, mon passé ».

Dina Kabil

 


Les poètes palestinien Ibrahim Nasrallah et bahreïni Qassem Haddad livrent leurs impressions et témoignages sur Mahmoud Darwich, figure emblématique de la poésie arabe. La jeune génération reconnaît aussi la grande valeur de l’auteur, dont les vers dépassent la simple poésie de la résistance.

 

La Palestine était son prétexte

lapalestineetait.jpgIl a milité à plusieurs niveaux. Et comme il avait la réputation d’être un fervent militant dans la vie, il a également milité pour se forger un style d’écriture plus courageux. Tout au long de son parcours, il est de ceux qui ont réussi brillamment à se libérer de la pression de l’angoisse politique ou plus précisément de l’histoire politique. Non pas pour contourner sa responsabilité humaine vis-à-vis du drame que vit son peuple, mais pour s’ingérer davantage et fouiller avec finesse dans l’essence de son expérience tragique. Il a essayé de transcender en quelque sorte la lourdeur du lexique traditionnel pour porter celui d’une langue plus légère qui véhicule plus de profondeur et plus d’esthétisme. Darwich est l’un des rares vétérans qui prône ce mode de lutte, de militantisme. Je peux en témoigner personnellement, non pas en m’attachant au revirement de son style, mais cela est très présent lorsqu’il va à la rencontre du public lors des soirées culturelles. J’ai suivi quasiment toutes les rencontres entre l’auteur et son public dans les capitales arabes et étrangères, et les péripéties qui s’y sont déroulées. A chaque fois j’ai été ébloui de voir à quel point le public adhérait à son discours, discours qu’il modifiait au gré des contextes variés dans lesquels il était amené à s’exprimer.

Jamais dans notre histoire contemporaine je n’ai vu un poète arabe vivre l’expérience de Mahmoud Darwich, qui consistait à côtoyer son public jusqu’à flirter avec le conflit acharné. Je l’ai accompagné en 1997 dans l’ancien théâtre romain de Guerch, en Jordanie. Il a mené une assistance enthousiaste vers un nouveau mode de réflexion éclairé qui fait primer la méditation de l’image poétique sur celle du slogan politique. C’est ce soir-là où il a hérité de l’appellation « maestro des ouragans », tel le capitaine ivre à bord d’un navire égaré. Mahmoud Darwich, pendant cette soirée, a fait moult réflexions çà et là à l’adresse du public entre ses prises de parole, afin de le sensibiliser à telle ou telle signification ou connotation, ou bien au contraire pour en nier une autre. Le face-à-face a été fidèle à l’image du dialogue conflictuel entre le poète et son public. Un poète qui a tenté de formuler ses positions sans plonger dans la frénésie du public. Pendant cette soirée, le sentiment qui inquiète le poète s’est matérialisé devant moi : comment le poète peut-il être la voix de son âme tout en étant le reflet et l’expression du contexte historique dans lequel il vit ? En d’autres termes comment peut-il être populaire tout en étant à l’abri de l’autorité du public ? Ce soir-là, j’ai senti que c’est cette même inquiétude qui pousse Mahmoud Darwich à déployer un effort considérable pour amener le public à se libérer de l’enthousiasme et du joug des propos directs.

Ce soir-là, il m’a été confirmé que la distance créative entre l’expérience poétique de Mahmoud Darwich et la prise de conscience publique ne peut être comblée que par l’ajout de nouveaux textes différents. (...)

Je pense que cette équation esthétique au niveau du texte s’est déclenchée lorsque Mahmoud Darwich s’est trouvé moralement obligé de faire partie du comité exécutif de l’OLP au début des années 1990. Cette expérience, quoique de courte durée, a mis le poète sous le joug du politique. J’ai alors ressenti beaucoup de compassion pour lui, vu la difficulté de l’épreuve, peut-être parce que je connaissais bien la nature du travail politique. Mais je savais également bien combien cette expérience peut engendrer une contre-réaction et provoquer ses sentiments. Ainsi le poète a innové davantage et a créé de nouvelles méthodes de lutte pour embrasser les horizons plus larges de liberté esthétique dont on ne peut guère se passer.

Celui qui passe au crible le parcours de Darwich découvrira la profondeur des modulations de son langage poétique et détectera la transparence et le sérieux artistique dont il a fait preuve, malgré le vacarme politique de la tragédie palestinienne. Le militantisme de la forme poétique n’est pas moins noble ou moins courageux que toute autre forme de lutte. Ainsi, la poésie de Mahmoud Darwich est l’incarnation de cette maxime héritée dans les deux cultures arabe et étrangère, selon laquelle le style est la personne. Il serait alors totalement irraisonnable de ne pas étudier en profondeur l’évolution de la méthode poétique chez ce poète innovateur.

Qassem Haddad



Bonjour Monsieur Darwich !
14/08/2008

Bonjour Monsieur Darwich !A Alger, Beyrouth ou Stockholm, ta voix interpellait les spectateurs. De sorte que lorsque le spectacle s’arrête, on emporte la musique dans sa tête. Maintenant que tu n’as plus à avoir « honte des larmes de ta mère », tu es mort comme tu as toujours vécu : à cœur ouvert. Dans tes interviews, tu te montrais parfois agacé des étiquettes de « poète de la résistance » ou de « représentant du peuple palestinien opprimé ». Tu estimais que « la Palestine n’était pas seulement un espace géographique délimité », qu’elle renvoyait « à la quête de la justice, de la liberté, de l’indépendance, mais aussi à un lieu de pluralité culturelle et de coexistence ». Tu enjoignais aux « passants entre les paroles passagères » de partir n’importe où, mais c’est toi qui es parti, trop tôt. Tu étais l’adepte du « less is more ». En peu de mots, tu nous tuais et nous faisais revivre. En un seul vers, tu faisais virevolter nos cœurs.

Tu aimais à dérouter tes lecteurs et auditeurs en usant et abusant des métaphores les plus improbables : « Ils ont vendu mon sang comme de la soupe en sachet », « l’odeur du café est une géographie », « les oiseaux sont le prolongement du matin », « le fleuve est l’épingle à cheveux d’une dame qui se suicide »… Ta poésie n’était jamais sombre, pourtant tu ne te lamentais pas, gardant toujours l’espoir du « retour ». Ton triomphe est, en partie, lié aux artistes qui ont chanté tes vers, à l’exemple de Marcel Khalifa ou de Majda el Roumi. Ton premier succès, à l’âge de 20 ans, était presque le fruit du hasard. Alors que tu devais remplir un formulaire au ministère israélien de l’Intérieur, sous la rubrique « nationalité », tu avais simplement écris « Arabe ». Le fonctionnaire en est resté coi : « Arabe ? » - « Oui, inscris, je suis Arabe ! », répondais-tu. Plus ce poème avait du succès et plus il t’irritait. Tu ne comprenais pas que les Arabes aient besoin de quelqu’un qui leur rappelle leur arabité. Ton histoire se confondait avec celle de ton peuple : naissance à El Jalil en 1941, départ familial au Liban en 1950, retour clandestin en Galilée entre 1960 et 1970, installation à Beyrouth en 1982, puis de longues années d’errance, cette « patrie dans une valise » entre Paris et Tunis puis Ramallah à partir de 1996 et d’autres haltes encore…

A l’exemple de nombreux intellectuels palestiniens comme Edward Saïd, tu as rejeté les accords d’Oslo, n’hésitant pas à démissionner du comité exécutif de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), soutenant que tu ne pouvais pas « assumer la responsabilité » d’une telle décision et protestant contre ce que tu appelais « une paix injuste ».

Par Amel Bidi



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